Le complexe de la sorcière by Sorente Isabelle

Le complexe de la sorcière by Sorente Isabelle

Auteur:Sorente, Isabelle [Sorente, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: JC Lattès
Publié: 2020-01-08T05:56:41+00:00


MAIS EST-CE QUE CET ORDRE EST SI FORT QUE ÇA ?

Ou est-ce encore un récit, quelque chose qu’on se raconte c’est-à-dire un sortilège ? Je vois à l’œuvre dans mon histoire et dans celle de ma famille une chose bien plus dangereuse et bien plus inhumaine que les failles de mes parents, une chose capable de détourner leurs désirs, de se nourrir de leurs ombres. Je vois quelque chose comme une organisation. Il y a quelque chose de militaire dans la misogynie. Ma mère faisait ses rapports à mon père sur nos problèmes à l’école comme un sous-officier à son général. Une attaque sur le front Fils appelait une riposte. Une attaque sur le front Fille, c’était la routine. Je me demande si les enfants qui font l’expérience d’être rejetés par les autres n’ont pas tous un point commun. Et ce point commun n’est pas une timidité initiale qui ferait d’eux des bêtes noires – la timidité, la peur, la maladresse et les faux mouvements, la voix qui ne sort pas ou pas comme il faudrait, et la fameuse pâleur de celui qui n’a plus de place, tout cela vient ensuite – mais la misogynie. La misogynie ne se traduit pas forcément par des remarques méprisantes envers les femmes ni même par une agressivité à leur endroit. La misogynie est d’abord une atmosphère. Certains jours, elle peut même avoir l’air romantique. Mes parents étaient très romantiques, du moins, au début. Si étrange que ça paraisse, je crois que la misogynie n’a rien à voir avec le genre. Elle a à voir avec la haine de l’étrangeté. On dit misogynie, on dit racisme, on dit saccage de la nature, on dit cruauté envers les animaux et on sent bien, obscurément, que tout ça veut dire la même chose. Et on sent, toujours aussi obscurément, que tout ça est relié à d’autres choses encore, comme la volonté de détruire qui pousse Stanley Kowalski à violer Blanche Dubois et à la rendre folle dans Un tramway nommé Désir. On sent obscurément que ces histoires sont reliées entre elles, même si elles ne se déroulent pas au même moment, elles sont écrites sur la même page, la page brûlante de l’histoire des chasses. Mais la haine de l’étrangeté n’est jamais nommée. La haine de l’étrangeté passe étrangement inaperçue. Pas un mot. Tabou. Nous avons chassé les sorcières, nous avons chassé les chasses de notre mémoire, nous avons effacé leur cause de notre esprit. Le patriarcat a comme une tendance à l’amnésie.



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